
Abolir portes et fenêtres, 2021
Apprendre à connaître ses voisins, c’est parfois n’avoir d’autre choix que d’écouter. Pas les salutations polies échangées dans la cage d’escalier ou les demi-sourires pressés dans l’ascenseur. Non. C’est autre chose. Une connaissance sourde, passive et pourtant intrusive. C’est savoir que le mur est un filtre, un seuil, une peau tendue entre deux vies. Une membrane fine mais bavarde. Le mur parle, tout le temps. Il siffle, il claque, il grince, il résonne. Il capte. Il enregistre. Il transmet.
Ce projet est né de cette proximité imposée, de cette promiscuité qui fait qu’on vit les uns contre les autres, au sens le plus concret du terme. Dans ma maison, j’ai tendu l’oreille — mais surtout des micros de contact — contre les murs. J’ai enregistré ce que le silence trahissait : des bouts de quotidien d’autres que moi. Des fragments d’intimité étrangère devenus paysages sonores. On y entend le cliquetis d’une fourchette sur une assiette, un aspirateur qui démarre, des talons précipités sur le carrelage, des mots qu’on devine plus qu’on ne les comprend. Et surtout, ce souffle permanent d’une vie qui se déroule à côté.
L'installation prend la forme d’un mur blanc, dressé seul au centre de l’espace d’exposition. Il n’est pas décoratif. Il est là comme chez lui. On ne peut rien y voir. Il faut s’approcher, presque se pencher. Coller son corps, son oreille, son attention. C’est une invitation à l’écoute, mais une écoute biaisée, partielle, morcelée. Ce que l’on perçoit n’est jamais clair ni total. Il faut compléter. L’imaginaire prend le relais. La fiction infiltre l’écoute. On se met à inventer les visages derrière les voix, les scènes derrière les bruits. On se glisse dans un quotidien qui n’est pas le nôtre, tout en y projetant nos propres routines, nos propres affects. Le spectateur devient auteur à son tour.
Ce projet interroge notre rapport à l’intime, à la cohabitation, à l'écoute invisible mais constante de l’autre. Il questionne aussi ce que l’on considère comme bruit, ce que l’on juge digne d’être enregistré, montré, conservé, transformé et travaillé en matière sonore. C’est une tentative de valoriser ce qui se joue en sourdine, dans les interstices de nos vies. Une façon de dire que derrière chaque mur, il y a un monde. Que ce monde résonne, même si on préfère ne pas l’entendre.
