L’extinction du dahu, 2023 Adaptation pour rétroprojection sur toile 300x400cm
L’extinction du dahu, 2023 Adaptation pour rétroprojection sur toile 300x400cm

L’extinction du dahu, 2023

Une fiction d’extinction : le dahu n’est plus, mais il a laissé des traces. Photographies retouchées à partir de données climatiques, langue sifflée, souffle ancien. Une mémoire visuelle et sonore se tisse, comme un écho de ce qui disparaît et disparaîtra.

L’extinction du dahu est une fiction d’anticipation. Il ne s’agissait pas simplement de présumer l’existence du dahu mais d’envisager sans transition son extinction. Comme une fenêtre sur nos terres dans les siècles à venir, où nous serions les témoins de la disparition d’une autre espèce. Et s’il ne restait que ça : des traces, comme un murmure d’espèce.
Pas de preuve formelle de son existence, pas de squelette retrouvé, juste une fiction à rebours. Ici, on ne cherche plus à prouver qu’il a été, mais à documenter qu’il n’est plus. L’extinction du dahu s’ouvre comme un conte qui aurait trop tardé à commencer. Le récit ne se construit pas dans l’enfance d’un mythe, mais dans ses ruines.
Des outils de simulations et de calculs d’indicateurs agro-climatiques, m’ont permis de travailler et retoucher numériquement ces photos argentiques en prenant en compte ces scénarios. A l’origine photographiés lors de mes randonnées en haute montagne, ces paysages se doivent de se transformer et s’habiller de traces qu’un dahu atteint de la maladie de la langue bleue aurait pu laisser sur son passage, comme du sang à la lumière noire.

Ces photographies projetées ou à nouveau tirées sur papier argentique sont accompagnées d’une lecture et d’un dispositif sonore discret qui épisodiquement, double ou prend le relais de la voix. A l'occasion d'une exposition, un dispositif sonore immersif faisait résonner dans l’espace une conversation en langue sifflée, élaborée à partir de sa traduction en occitan.
L’écho des langues sifflées n’était pas qu’un hommage : il s’agissait de réactiver un souffle ancien, de tendre l’oreille à un dialogue suspendu entre crêtes et vallées. Lors de cette exposition, nous avons élaboré un espace sonore immersif, un territoire d’ondes où les sifflements se répondaient, rebondissant d’un mur à l’autre comme d’un sommet à un hameau lointain. Grâce à la collaboration précieuse de Philippe Biu (traducteur et interprète de la pièce sonore), ce jeu de questions-réponses traduit en langage sifflé prenait corps dans l’architecture.
Un flyer-manifeste accompagnait l’installation : à la fois guide d’écoute et incantation, il permettait de suivre le fil du dialogue et introduisait en contrepoint la lecture du Manifeste de l’extinction du dahu. Comme si les sifflements eux-mêmes portaient la mémoire d’une espèce disparue, les prémices d’un langage en train de s’effacer, relégué à la mémoire de quelques-un·e·s.

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Peu à peu les températures trop élevées en été ont impacté la quantité des ressources, en baisse. Les assassins du dahu ont alors éclos en masse...; ne se suffisaient plus de ravager les bestiaux d’Afrique subsaharienne. Ces moucherons appelés culicoïdes ont amené la fièvre catarrhale jusqu’à nos cheptels. Ils ont piqué nos agneaux, nos brebis, nos chamois, nos chèvres boiteuses. On les croyait préservés de la maladie “exotique” qui faisait déjà défaut à des peuples et du bétail qui ne nous intéressaient pas. Il a fallu que les vents livrent cette armée jusqu’à nos portes. (...) C’était il y a 80 ans et nos grand-pères disaient qu’il suffirait de s’habituer à vivre avec ce virus tandis que nos bêtes enduraient la fièvre et les lésions : oedème, érosions, excessive salivation, ulcérations des muqueuses, langue enflée et colorée en bleu. La fièvre catarrhale ou maladie de la langue bleue venait en nuée de fantômes vrombissant traquer ses proies, les posséder. Infectant le chevreau in utero, le virus passait toujours son hiver au chaud (...) Et qu’importe ! Le dahu a disparu lorsque la notion même d’hiver est devenue du vieux français, une période géohistorique. On a protégé nos élevages : vaccins, insecticides. Grand-maman : - “Mais que faire de ces bêtes sauvages desquelles on ne veut même pas le lait?”
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Disposition du "Chemin" de laine d'après photo argentique pour constitution du négatif pour le cyanotype